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Patrick Jude

 

Patrick Jude, Mimétisme.

Sur la plage, il y a des années, tout ce qu’il racontait n’avait de sens qu’illustré par le jeu habile et expressif de ses mains.
Et raconter c’était son affaire. Il parlait beaucoup et ses mains en mouvement, c’étaient des sous-titres. Ce qui faisait que, sans médisance aucune, si ce qu’il racontait restait hors de portée, et bien grâce à ses gestes on comprenait.
Toujours est-il, qu’il a fait de cette expertise acquise dès ses premiers émois, là sur la plage, son métier. Il raconte et ses mains traduisent.
Donc il est peintre.
Pour des raisons de rédaction, il faut aller à l’essentiel, mais il faut toutefois préciser que pour toutes les choses de sa vie, il procède selon une méthode en vigueur dans les laboratoires où l’on réalise des satellites. Là où pas un cheveu ne traîne, où tout est pesé, évalué et contrôlé, pour garantir le meilleur résultat. Qu’il prépare un cadre, une toile qu’il achète un sécateur ou des espadrilles, tout procède de cette méthode. Il n’y a qu’à voir comment il soigne l’olivette attenante à sa maison, une pente de cailloux parfaitement agencée en terrasses avec les oliviers à leur place exacte. Idem pour les outils sur l’étagère de l’atelier, on y détecte à peine les traces de son travail tellement c’est rangé... et de bonne qualité.
Patrick dispose désormais d’une œuvre. Il lui suffisait de raconter en appliquant sa méthode, ce qui est simple dans l’énoncé, mais plus difficile qu’il n’y paraît pour y parvenir.
Aujourd’hui, ayant fait le tour de tellement d’affaires qui ont jalonné notre temps, après les avoir mises sur toiles, il trouve que peindre des vignes qui sont autour de son atelier, c’est une histoire largement suffisante pour que ses grands principes mentionnés plus haut soient manifestes.
Sur les collines autour de chez lui, les vignes sont réalisées selon une logique stricte. Ce qui n’empêche pas que souvent le résultat est compliqué, voire inexplicable. Les reliefs sont inattendus et il y a de curieux accidents partout. C’est fait de murettes qui soutiennent les coteaux, des tas de canaux traversants, et autant de déversoirs et petits aménagements qui encaissent les intempéries. Tout cet attirail peut être consigné dans une longue liste de noms catalans dont on épargnera le lecteur. Après tout ce n’est pas ici un manuel de vigneron.
Ce qui est remarquable, c’est que Patrick Jude, à force de raconter ces vignes, de les peindre, s’essayer sans doute lui-même à les comprendre, il les simplifie, cherchant à n’en rendre que le cœur. Partout où les yeux peuvent porter, il cherche une réponse à ce qui est l’esprit d’une relation entre la nature et une activité humaine. Cela est un thème qui lui est cher, et peintre qu’il est, il en rend compte dans ses toiles.
Là commence la magie. Au fur et à mesure qu’il s’approche d’une vérité des formes et des couleurs, ses mains se fâchent. Tout ce qu’il enlève de superflu, tout ce qu’il laisse de coté pour éclaircir sa narration, absolument tout se retrouve dans ses mains. Les pleins et creux, les reliefs tortueux des cailloux et des ceps, toutes ces aspérités se glissent dans ses phalanges. Ce qui n’est plus sur la toile se retrouve dans ses doigts. Pour lui, c’est une maladie, et il souffre assez pour qu’on en soit convaincu. Mais cette affaire a des précédents, tel ce gitan célèbre qui offrit le meilleur de sa guitare avec les deux doigts que la vie lui permit de conserver.
C’est peut-être aussi le résultat d’un mimétisme involontaire, d’une immersion profonde pour aller chercher des fraternités cachées, mais tout aussi significatives, qui existent entre le paysage et nos rêves.
Bien sûr, quelques tenants des Olympes de la psyché affirmeraient que tout cela s’expliquerait par l’histoire d’une figure mythique qui d’autorité postulerait que la souffrance est en fait une merveille. Ceux-là disposent d’une espèce de science dont les remèdes abolissent toute interrogation et même l’impossible. Et si l’impossible disparaît, alors à quoi bon se lever le matin.
Il s’agit de tout autre chose. La fascination de Patrick devant l’enchevêtrement des pierres, les alignements et détours de ces lignes qui habillent le paysage, la déchirure de l’esprit qui ne se contente pas d’une surprise béate devant ces collines vêtues par l’homme, tout cela a obligé ses mains à se superposer au dessin fantastique des vignes dans la lumière, à leur part d’irrésolu. Et avec le temps, un peu plus pour chaque toile, il nous dit que notre univers n’est que répétition et l’infini une illusion.
Il nous dit avec un sourire que ses mains, il pourrait les coller directement dans la toile de sa dernière vigne, celle en cours, et ce ne serait que deux pieds de vigne de plus.
La douleur serait une rançon pour saisir un petit fragment de fantastique. Patrick ne la payera pas, il n’est pas du genre à faire des dettes.
La réalité, si elle existe vraiment n’est qu’une succession d’obstacles qu’il faut franchir, et dont on ne tire qu’un atome de sens. Dépassé l’un, il faut aller vers l’autre.
Alors, Patrick Jude raconte, il parle et ses mains font le reste. Il semble heureux, comme quand nous étions sur la plage, c’est tout.

Germinal Rebull

D'UN MONDE A L'AUTRE. 42° 28' 59'' N, 3° 7' 41'' E

Difficile d'ignorer deux mille ans d'Histoire en inscrivant brutalement un simple point GPS pour désigner un territoire entre mer et montagnes qui culminent à 900 mètres, et dont les crêtes constituent la frontière politique, souvent remaniée, et géographique de façon tout à fait naturelle.

Le versant sud, côté Empurdan nous rappelle ce qu'était la genèse d'un paysage resté à l'état sauvage avec quelques traces à peine visibles d'un pastoralisme très localisé. Du côté nord, depuis l'arrivée des Phéniciens et des Grecs puis des Romains, la vigne s'est peu à peu acclimatée. Trilogie méditerranéenne mythique « du vin, de l'huile et du blé », vitis-vinifera est toujours présente et la qualité des vins produits s'est sans cesse améliorée pour nous donner le fameux vin doux naturel de Banyuls appelé il y a très peu de temps encore vin de messe.

En 1936, le décret de l' Institut National des Appellations d'Origine classe le vin produit dans cette zone géographique Appellation Banyuls Contrôlé. La consécration pour deux mille deux cent hectares répartis sur les quatre communes de la Côte Vermeille qui étaient alors autorisées en exploitation.
En quelques décennies seules restent cultivées mille deux cent hectares en morcellement extrême. Est-ce à dire que la vigne se meurt ?


Patrick Jude vit au centre de ce chaos et souffre de n'être qu'un témoin impuissant. Pourtant sa vision est cruciale. Le long cheminement de son travail pictural est décliné en étapes successives où seule la lumière met en relief son témoignage d'alerte : le soleil rasant de fin de journée efface les détails inutiles. Seuls les casots et les terrasses marquent la toile de leur présence inquiétante. Poussière ocre et dorée de schiste, ombres portées, absence de ceps...

Sa deuxième recherche fixe la terre et sa limite maritime. La palette chromatique s'enrichit de nuances vertes, signe évident que la vie continue. Mais le constat intensifie la perte de repères. Tel un triste plan cadastral, l'ocre domine les teintes de vert et l'on cherche en vain quel est le terrain gagné par l'un ou par l'autre : celui du vigneron qui s'accroche aux terrasses, qui renforce inlassablement les murettes de pierres sèches pour éviter que la mince couche arable ne s'écoule avec les violents orages, ou celui de la nature implacable, de garrigue en maquis qui reprend son territoire ?

Tous les jours, dans son atelier, l'artiste constate et témoigne et ses dernières toiles laissent apparaître une note d'optimisme raisonnable. Les couleurs redonnent vie au paysage qui s'envole de la toile. Les parcelles vertes dansent le quadrille, les ocres à l'abandon invitent les jeunes générations pleines d'espoir à leur rendre vie, les griffures des murettes millénaires jouent avec la tramontane.


Le Temps n'est pas encore figé dans les vallées de Banyuls.

Bernard Hospital, Banyuls-sur-mer, le 10 octobre 2016.