Laurent Ribérat, Le peintre clandestin de Céret
Nombreux sont les peintres de ce bienheureux pays catalan, éclairé par le St Elme fauve de Colioure et la torche cubiste de Céret, qui n’ont jamais su prendre la mesure des trésors légués. Laurent Ribérat ne fut pas de ceux-là. Tétant la sève des platanes de Céret. Toujours, ou presque en cachette. Comme un alchimiste, ou par pudeur, ou comme si l’art était une activité délictueuse pour ceux qui viennent d’en bas ou n’ont connu de l’école que les buissons.
L’homme se prit au jeu du pinceau, des traits et des couleurs. C’est de son jardin au pied de son figuier (sa nourrice mystique) quil a observé le monde, qu’il a dégusté son temps. Il a regardé la campagne, son village. Il épousa la nature et poussa, avec la prudence du timide, la porte du musée de son lieu. Le peintre ne tarde pas a comprendre que l’enjeu c’est aussi de passer de l’art graphique à l’art plastique. Le voilà, « accroché », « embarqué ».
A la fin des années 50, il quitte les rivages de la figuration (jamais il ne les perdra totalement de vue) pour aller plus avant dans la peinture, dans l’image. Il s’y installe, et les travaille «de l’intérieur». Naïvement ? La bonne blague !
Les « tableaux », n’étaient pas pour lui des drôles d’oiseaux, mais des chants envoûtants – la musique aura toujours chez lui une place de choix . Il a donc lu et écouté. Dessiné, peint, fabriqué… A sa façon : sauvageonne, en marge, sans bousculade. Presque anonyme ou « artiste clandestin ».
Dans le secret de son atelier, sans doute dut-il nourrir des rêves de sérieux et de grandeur. Il rêva certes : « il ne fit pas l’artiste ». Il s’exprima toujours avec la gourmandise de la vie. Lui : un amateur pas pressé ! Le tic-tac de la pendule de la Reconnaissance ne le préoccupa jamais. Il resta toute sa vie fidèle à ce portrait. Pourquoi au soir de sa vie, aurait-il eu de l’amertume à se retrouver sur les cimaises du Musée d’Art Moderne de Céret. Le « sanctuaire » qu’il avait vu naître, se développer, s’agrandir ; et qui naturellement, le nourrit. N’était-ce pas comme la petite revanche d’ « un laissé-pour-compte » ?
De son vivant, les œuvres de Laurent Riberat n’auront guère encombré les cimaises. Aujourd’hui, elles sont là vibrantes de santé, « à découvrir ». Regardons-y de près. On peut juger sur pièce. Et d’abord de l’évolution d’une production. Quelque entomologiste repèrerait dans ce long parcours graphique et pictural (cinquante ans ) qui est proposé, des airs de ressemblance avec des variétés communes, et pourrait lui accoler l’étiquette « de ci » et l’étiquette « de là ». Il pourrait ainsi épingler sur son cahier un demi-siècle d’histoire de l’art. Mais est-il question de cela ? Non l’important : c’est le destin de cet homme, son témoignage, sa capacité d’expression et sa faculté de pouvoir nous retenir, nous émouvoir. On peut commencer à lui rendre justice.
Jacques Quéralt
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