Le silence de la peinture
(...) Chaque toile dresse un vaste espace de silence où se sont figées, mi-ombres mi-silhouettes, les empreintes, ou mieux, les émanations muettes d’un bestiaire d’oiseaux foudroyés. Ces ombres qui passent au travers de la toile et y déploient leur chorégraphie formelle sont autant des images que des signes, autant des icônes que des fiches signalétiques. Elles indiquent sans proprement montrer, elles convoquent sans proprement représenter, et pourtant leur exactitude est sans faille. L’œil ne peut s’y tromper, et nul besoin d’être chasseur pour reconnaître et nommer aussitôt, là dans ces trois masses tombantes tête en bas un « tableau de chasse » aux faisans ou aux cailles, ici dans cette ascension, que n’en finit pas de tirer vers le haut d’un vol impossible leur fragile et pathétique bec, un quatuor de bécasses, là encore dans cette pauvre forme tombante explosée foudroyée en plein vol le corps d’un geai. Le silence que donne à entendre le dernier opus de Joël Desbouiges est empreint d’une profonde gravité, analogue à celle des Vanités du 17ème siècle.(...)
...le peintre engage une méditation sur la mort, la grandeur et la précarité de la vie. Il faut bien se rendre à l’évidence, l’habitant, l’oiseau-signe impeccable de « réalisme » qui venait en trompe-l’œil se poser sur la toile dans les œuvres précédentes, est désormais littéralement « passé de l’autre côté » ; de ce côté-ci du visible ne demeure que le vol éphémère d’un papillon. Dans chacune des toiles nouvelles se poursuivent méditation et déploration. Sans lyrisme, sans pathos, sans littérature ajoutée. Par les seuls moyens de la peinture.
Extrait de "le silence habite la peinture " d'Alain Kerlan - 2005
Alain Kerlan, extrait de "Le silence de la peinture" 2005

Joël Desbouiges
Né en terre Limousine à Mailhac-sur-benaize,Joël Desbouiges se découvre très tôt une passion pour la peinture. Dès l’école, il peint des paysages et des natures mortes. Au lycée de Montmorillon un peintre amateur, Marcel Breuil, encourage et permet à cette passion de prendre forme dans les peintures à l’huile qu’il réalise en étant habité par la qualité des ciels de Ruysdael et les couleurs de Van Gogh. En 1967, alors qu’il va rentrer à l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs de Limoges, il découvre les toiles d’Edouard Munch, James Ensor, Jean Dubuffet et les peintres du mouvement Cobra.Elles vont nourrir pour longtemps sa palette et sa facture. Etudiant dans l’atelier de Claude Viallat, il sera au plus proche des recherches du mouvement Support Surface sans pour autant participer de ce mouvement.C’est par des chemins indirects que cette fréqentation marquera l’évolution de son travail. Il poursuit jusque dans les années 70 une peinture figurative d’une palette et d’une matière expressionniste portée par une vision critique du monde et qui affectionne les grands formats de toiles libres. Son parcours picturale est marqué par la rencontre avec les œuvres d’Antonio Saura, Antoni Tapies, Willem de Kooning et Robert Motherwell. Il sort diplômé de l’Ecole en 1972. Dès lors, il travaillera dans des ateliers toujours situés dans des milieux ruraux, la nature constituant pour son œuvre un véritable compost. Progressivement va s’affirmer le primat de la couleur et du tableau; cette inflexion de l’œuvre va se confirmer dans les années 80 qui vont voir son entrée à la Galerie Bernard Jordan à Paris. Après avoir vécu en Limousin, dans le Calvados et en Auvergne, Joël Desbouiges va s’installer à Purgerot en Haute- Saône. En 1996, il décide d’un repli dans l’atelier.”Un retour à l’atelier fut nécessaire, pas de volonté d’isolement, mais une période de solitude pour simplement revisiter les composants de la peinture. A l’envie de retrouver une véritable radicalité dans le travail de peintre, avec une couleur envahissante sans la manifestation de son épaisseur ou de saturation, s’additionne une véritable lassitude face aux codes de l’abstraction qui se font peinture. Trouver une poésie simple, une impression de paix, de recueillement, un Tableau qui contient les conditions favorables à recevoir la vie, l’image d’une vie, écrivait-il dans une note d’atelier en 1997. Depuis s’est affirmée cette immersion de la figure dans une couleur aérienne. Récemment, travaillant la toile en son verso il donne à ses couleurs une présence à la fois lumineuse et diaphane tout en l’ articulant à un jeu de formes hybrides entrelacées qui affleurent la figure.
Philippe Cyroulnik. Extrait, 2002
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