Joan Ponç au fond de l’être.
Ainsi va le corps humain; vivant ou mort, c’est le même: en constante évolution ou décomposition, en perpétuel va-et-vient entre l’être et le néant, champs d’expériences inépuisables. L’artiste intervient avant que rien ne disparaisse ou ne tombe en poussière. Il recueille l’inaltéré, ce qui ne peut s’anéantir ou s’épuiser. Le tableau est un immense reliquaire où tout ce qui a vécu une fois reste prés à bouger et à revivre.
Ponç à l’exacte conscience de tout ce que contient une enveloppe de chair, de ce qui reste invisible dans ce qu’on voit. Le paradoxe est que ce révélateur du monde est presque aveugle. Cette vision si aiguë, si perspicace, est presque perdue comme usée par sa propre recherche, si fragile, si menacée que l’artiste a besoin de toutes sortes d’appuis, d’auxilliaires pour agrandir, multiplier, affirmer ce qu’il découvre à la pointe, dirait-on, de son œil.
Il poursuit son déchiffrement au delà du possible.
Jacques Lassaigne - Extrait 1977 - Conservateur du musée d’art m

Chronologie autobiographique - Extrait
1966 :
Exposition au Musée d’Art moderne de Rio de Janeiro avec Genovés.
En 1949 le poète Foix m’avait emmené avec lui à Port Lligat pour me faire faire la connaissance de Salvador Dali. Je m'était promené dans Cadaqués: j’avais été séduit par l’endroit et m’étais promis d’y revenir.
Cette seconde fois le plaisir fut encore plus vif, et je décidai de n’en pas repartir. le même soir j’avais loué une maison. Quelques jour plus tard, j’apprenais qu’elle avait été autrefois une pension qui avait vu défiler Picasso, Manolo Huguè et Eugenio d’Ors. Peindre sur le balcon où ces hommes avaient travaillé m’émut beaucoup. Contact étroit avec la population de Cadaquès. Ces gens, peut-être parce qu’ils sont un peu visionnaires comme moi, me plaisent énormément.
Conversation avec les pêcheurs qui me racontent leurs aventures et celles de leurs pères...Les partie de manille avec le docteur Vergara, véritable artiste à ce jeu, les histoires mystérieuses du pays, brillamment racontées par Ubladet, les bagarres avec Salat, la mélancolie de Heribert, chef du bureau de poste et poète, l’honnêteté d’Isidret, l’imagination morbide de Llorens, la bonne humeur de Paco, tous ces gens pleins de caractère, avec leur vue très particulière du monde, m’ont aidé à rester en dehors de ce climat sophistiqué qui nuit tellement aux artistes.
Je fais trente eaux - fortes pour illustrer la métamorphose de Kafka..
1977 :
Pour la première fois, je constate que montrer mes travaux ne me perturbe pas de manière négative: je veux parler de l ‘exposition qui va se tenir au Musée d’art moderne de la ville de Paris. C’est un rêve que j’ai caressé à dix-sept ans, à l’époque ou j’étais convaincu que j’avais un précieux message à transmettre au monde.
Aujourd’hui, je souhaite seulement apporter la preuve qu’il est possible de créer en marge de tous les intérêts, de toutes les pressions, de toutes les modes. Je suis fier de n’être pas un des innombrables peintres qui font partie de la peinture contemporaine parce qu’elle a été le seul refuge qu’ils aient trouvé pour travestir le fait incontestable qu’ils sont biologiquement académiques.
Si je nais une seconde fois - amère idée -, n’allez pas me chercher devant un chevalet. Assis sous un arbre ou sur un rocher, vous me trouverez en train d’aiguiser ma pensée (comme je l’ai fait des burins à graver). J’étendrai avec tout l’amour et le soin possible (comme je l’ai fait des couleurs sur la toile) mon esprit sur toute mon existence jusqu’à ses limites ultimes, afin que mon identification avec l’Être soit si profonde, qu’au moment de retourner à ses entrailles, on ne se soit même pas aperçu que j’ai passé quelques instants sur son épiderme.
Joan Ponç

Joan Ponç, ou les magies de Céret.
Il n’y a dans le monde, ni astrologies, ni prédestinations. Joan Ponç, l’artiste de la viscéralité le savait très bien. Ce qu’il y a, et ce qui est déterminant, c’est l’endroit où l’on choisit de vivre. Là est le terreau dans lequel va grandir et s’épanouir l’arbre ou l’être vivant que nous sommes.
Disons cependant que Joan Ponç n’a pas été le seul à choisir Céret. Bien d’autres l’avaient fait avant lui ou continueront à le faire. Mais que diable y a t ’il à cet endroit?
Pour ma part, je signalerais une seule chose, toutes les autres s’y ajouteront de surcroît: Céret est l’ubac, manifestement et expressément. Le soleil se lève sur l’autre versant.
Ceux qui arrivent à Céret, et ceux-là seulement s’ en rendent compte. Ceux qui y demeurent déjà n’en sont pas conscients, mais cette circonstance et cette situation sont valables pour tous.
Se trouver à l’ombre, c’est tout voir à contre jour, comme s’il n’y avait au monde que des ombres et non pas des choses. Joan Ponç n’avait guère étudié la philosophie, encore qu’il en sache beaucoup et qu’il la pratique encore plus. En tous cas il connaissait le philosophe Emmanuel Kant qui disait que nous ne connaissions que l’apparence des choses - nous pourrions dire l’ombre, l’image qu’en donne l’ubac - et qui est , ainsi le dit Kant, celle que nous emplissons de notre manière d’être, de notre caractère, qui nous est donné par l’endroit où nous avons choisi de vivre. Les gens de Céret, sont des gens qui perçoivent et voient le monde d’un regard déformé, contrefait et fantastique comme vu au crépuscule. Les choses sont nos espérances, nos craintes ou bien nos fantaisies. Joan Ponç a représenté les choses qu’il voyait du plus profond de son être, avec sa propre densité, du fait de ce qu’il était, de ce qu’il sentait ou pensait; c’était un monde de silhouettes.
Quand, pour des raisons et des sentiments personnels, il décida un jour de rendre hommage à Léonard de Vinci - l’homme au regard perçant et constructeur, l’homme qui fit en sorte que les taches et les nuages aient un sens - c’est parce qu’il vivait à Céret que cette idée lui vint.
Ce que nous voyons nous effraye toujours: parce que nous savons que nos visions existent, mais nous ignorons ce qu’elles sont.
Pour des couleurs, pour des lignes qui sont aussi des couleurs, pour des couleurs et des lignes qui sont aussi des références à des choses que nous ignorons, c’est pour tout cela que nous avançons, à Céret, comme partout dans le monde: à tâtons. C’est le savoir de l’ignorance. C’est l’œuvre de Joan Ponç, l’homme des ubacs, confirmée à Céret. Dans le fond, Kafka et Don Quichotte ne sont ils pas des êtres du contre-jour?
En tout cas, il suffit de se poser la question: qu’y a t ‘il derrière ? A défaut de l’expliquer, Joan Ponç nous le montre, à sa manière. Comme chacun de nous devrait essayer de le faire.
Arnau Puig - Philosophe et critique d'art
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Joan Ponç
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