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Joël Desbouiges

 

Joël Desbouiges

Comment être peintre, aujourd'hui? L'œuvre comme la biographie de tout artiste engagé dans la voie de la peinture portent en elles la question sans repos. C'est un métier assurément, et il y faut un maître et un passeur ; mais un maître et un passeur qui vous aide à vous faire autant qu'on s'en défait. Né le 13 novembre 1950 dans le bureau de poste de Mailhac sur Benaize (Haute-Vienne) comme il aime plaisamment à le dire, Joël Desbouiges a été l'élève de Claude Viallat à l'Ecole Nationale des arts décoratifs de Limoges. Le critique Georges Chatain se souvient de la première fois qu'il vit les toiles de ce jeune peintre inconnu, en 1970, tout juste vingt ans : au beau milieu d'une cinquantaine d'artistes, ces visages expressionnistes des Personnages-violence, jetés violemment en graffitis sur la grande toile flottante comme une tapisserie miroir de la fureur du monde, c'était déjà, dans et par-delà le vocabulaire support-surfaces, une œuvre singulière. Le Desbouiges de cette période des Personnages-violence (1972-1978) et de la série dominants-dominés porte sur la scène picturale l'interrogation qui ne lâchera plus l'homme et le peintre, l'artiste et le citoyen : comment dire, dans le langage et les moyens de la peinture pure, l'état du monde, la marche sociale et politique du monde, et la condition politique des hommes? C'est là sans doute l'une des plus profondes singularités de l'art : rejoindre le monde au plus intime du travail et de la logique de l'œuvre.

Un œuvre abondante, diversifiée, constamment relancée par le souci du monde et le souci de la peinture. Le travail de Joël Desbouiges ne cesse d'émerveiller par sa prodigieuse invention à l'intérieur des contraintes qu'il se donne. « Rien ne ressemblait moins à un Albarello qu'un autre, et pourtant tout lui semblait avoir été dit de cet épuisement des sens, de cette multiplication des hypothèses, écrivait son ami Robert Xavier Michaut après l'une de ses familières visites à l'atelier. L'œuvre de Desbouiges se laisse décrire en termes de périodes et de séries, parce que chacune porte en elle le tout de la peinture et relance chaque fois l'interrogation : série des losanges à partir des années 80, « travail à la fois de peinture, de couture et de façonnage, comme l'écrit Georges Chatain ; série parallèle des Vie Coye, du nom de ces petits tableaux dans le tableau de la grande peinture flamande, et méditation du peintre sur la peinture et le tableau eux-mêmes ; période des Albarelli dans la première moitié des années 90, puis des Anacoluthes depuis 94, dans lesquels l'œuvre atteint sans doute à sa plénitude inquiète. Bonheur de la peinture, mais aussi « lumière sereine et inquiète de la maturité.

Comment en effet être pleinement peintre aujourd'hui sans porter en soi cette tension? Pour être peintre, il faut sans doute une forme d'acquiescement au monde, un oui nietzschéen du vivant à la vie. L'art est aussi l'une de ces tâches où il nous faut décider si nous aimons assez le monde. Chez Desbouiges, cette adhésion prend la forme toute charnelle et nourricière de son attachement à la terre, à la nature et à la campagne qu'il aime si fort avec ses hommes et ses bêtes. « Vit et travaille en Franche-Comté, dit laconiquement la formule. Ici, elle prend un relief particulier. Pas une toile, aussi « abstraite » soit-elle, qui ne soit d'une certaine façon « passée » dans ce creuset d'une relation à la terre et à ses souffles. L'oiseau dont l'image peinte vient achever chaque Anacoluthe et livrer le tableau à notre regard ne se pose là qu'après la marche du peintre dans les vallons qui environnent l'atelier. Privilège du visiteur au sortir de l'atelier : s'imaginer le peintre à longues enjambées parcourant la campagne, portant à bout de bras, comme il fait parfois à l'atelier pour le visiteur, les grandes toiles levées, ce bonheur inquiet dressé par-dessus les collines. La peinture donne des ailes.

Mais le oui n'est tel que par le doute qui l'inquiète. « Je sais et je ne sais plus. Entre les deux je peins, écrivait Joël Desbouiges au critique-historien d'art Patrick Beurard. Car la peinture est une pensée, cosa mentale. Comment être peintre sans trouver sa manière propre de vivre cette dualité, accueil du monde sensible dans son corps et par son corps, mais aussi et tout autant pensée du monde? Chaque série porte en elle cette polarité : bonheur du oui au monde et à la peinture dont le geste et la couleur célèbrent les noces, nettement affiché dans certaines toiles, méditation où l'inquiétude de la peinture rejoint l'inquiétude du monde, plus visible dans quelques autres. Au cœur de chaque série, les œuvres les plus grandes sont sans doute celles où cette tension anime la toile toute entière.

Joël Desbouiges a aujourd'hui 54 ans ; la série des Anacoluthes entamée au milieu des années 90 constitue bien au sens plein une œuvre de maturité. La tension du oui et du dépassement habite à présent chaque toile, et lui donne la luminosité sereine, méditative, musicale, propre aux œuvres dans lesquelles l'économie des moyens donne à l'expressivité du dire son juste équilibre ; comme dans certaines peintures d'extrême orient, ou bien dans certains quatuors de Mozart ou de Bartok. D'où vient alors l'allégresse grave, diffuse et contenue, qui sourd des Anacoluthes? De la limpidité picturale retrouvée sous l'œil de l'habitant, cette impeccable image-oiseau posée là, comme un témoin de la venue du tableau d'un au-delà de lui-même ; de cette part du temps et de la mémoire qui advient alors à l'espace et à la couleur.

Dans les présentations les plus récentes des œuvres a pris place un aspect du travail qu'on aurait pu croire secondaire : la photographie. Elle n'a jamais cessé en vérité d'accompagner la peinture, comme tous les petits formats élaborés dans ce bureau de l'atelier qui est comme le laboratoire de la méditation picturale de l'artiste, la basse continue de son œuvre. Comment en effet être peintre aujourd'hui sans que l'interrogation de l'image mécanique, de l'image qui n'est plus faite « de main d'homme, habite et travaille la peinture elle-même? Faire de la peinture, de chaque toile, à nouveau une révélation, relancer la peinture et le tableau avec cela, transmuer cette affaire là en peinture, voilà le pari lumineux qu'engage chaque Anacoluthe. La peinture, et la photographie, comme l'oiseau, peuvent désormais voler de leurs propres ailes.

Alain Kerlan, le 29 mai 2004

Joël Desbouiges

Né en terre Limousine à Mailhac-sur-benaize,Joël Desbouiges se découvre très tôt une passion pour la peinture. Dès l’école, il peint des paysages et des natures mortes. Au lycée de Montmorillon un peintre amateur, Marcel Breuil, encourage et permet à cette passion de prendre forme dans les peintures à l’huile qu’il réalise en étant habité par la qualité des ciels de Ruysdael et les couleurs de Van Gogh. En 1967, alors qu’il va rentrer à l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs de Limoges, il découvre les toiles d’Edouard Munch, James Ensor, Jean Dubuffet et les peintres du mouvement Cobra.Elles vont nourrir pour longtemps sa palette et sa facture. Etudiant dans l’atelier de Claude Viallat, il sera au plus proche des recherches du mouvement Support Surface sans pour autant participer de ce mouvement.C’est par des chemins indirects que cette fréqentation marquera l’évolution de son travail. Il poursuit jusque dans les années 70 une peinture figurative d’une palette et d’une matière expressionniste portée par une vision critique du monde et qui affectionne les grands formats de toiles libres. Son parcours picturale est marqué par la rencontre avec les œuvres d’Antonio Saura, Antoni Tapies, Willem de Kooning et Robert Motherwell. Il sort diplômé de l’Ecole en 1972. Dès lors, il travaillera dans des ateliers toujours situés dans des milieux ruraux, la nature constituant pour son œuvre un véritable compost. Progressivement va s’affirmer le primat de la couleur et du tableau; cette inflexion de l’œuvre va se confirmer dans les années 80 qui vont voir son entrée à la Galerie Bernard Jordan à Paris. Après avoir vécu en Limousin, dans le Calvados et en Auvergne, Joël Desbouiges va s’installer à Purgerot en Haute- Saône. En 1996, il décide d’un repli dans l’atelier.”Un retour à l’atelier fut nécessaire, pas de volonté d’isolement, mais une période de solitude pour simplement revisiter les composants de la peinture. A l’envie de retrouver une véritable radicalité dans le travail de peintre, avec une couleur envahissante sans la manifestation de son épaisseur ou de saturation, s’additionne une véritable lassitude face aux codes de l’abstraction qui se font peinture. Trouver une poésie simple, une impression de paix, de recueillement, un Tableau qui contient les conditions favorables à recevoir la vie, l’image d’une vie, écrivait-il dans une note d’atelier en 1997. Depuis s’est affirmée cette immersion de la figure dans une couleur aérienne. Récemment, travaillant la toile en son verso il donne à ses couleurs une présence à la fois lumineuse et diaphane tout en l’ articulant à un jeu de formes hybrides entrelacées qui affleurent la figure.

Philippe Cyroulnik. Extrait, 2002

Le silence de la peinture

(...) Chaque toile dresse un vaste espace de silence où se sont figées, mi-ombres mi-silhouettes, les empreintes, ou mieux, les émanations muettes d’un bestiaire d’oiseaux foudroyés. Ces ombres qui passent au travers de la toile et y déploient leur chorégraphie formelle sont autant des images que des signes, autant des icônes que des fiches signalétiques. Elles indiquent sans proprement montrer, elles convoquent sans proprement représenter, et pourtant leur exactitude est sans faille. L’œil ne peut s’y tromper, et nul besoin d’être chasseur pour reconnaître et nommer aussitôt, là dans ces trois masses tombantes tête en bas un « tableau de chasse » aux faisans ou aux cailles, ici dans cette ascension, que n’en finit pas de tirer vers le haut d’un vol impossible leur fragile et pathétique bec, un quatuor de bécasses, là encore dans cette pauvre forme tombante explosée foudroyée en plein vol le corps d’un geai. Le silence que donne à entendre le dernier opus de Joël Desbouiges est empreint d’une profonde gravité, analogue à celle des Vanités du 17ème siècle.(...)
...le peintre engage une méditation sur la mort, la grandeur et la précarité de la vie. Il faut bien se rendre à l’évidence, l’habitant, l’oiseau-signe impeccable de « réalisme » qui venait en trompe-l’œil se poser sur la toile dans les œuvres précédentes, est désormais littéralement « passé de l’autre côté » ; de ce côté-ci du visible ne demeure que le vol éphémère d’un papillon. Dans chacune des toiles nouvelles se poursuivent méditation et déploration. Sans lyrisme, sans pathos, sans littérature ajoutée. Par les seuls moyens de la peinture.
Extrait de "le silence habite la peinture " d'Alain Kerlan - 2005

Alain Kerlan, extrait de "Le silence de la peinture" 2005