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Fabien Boitard

 

La facture/outil en peinture

Pour une représentation poly/facturée du réel.

Il y a trois ans maintenant, en 1996, il me fallait pouvoir mettre au point un système simple et efficace qui me permette un apprentissage sérieux des techniques et codes esthétiques en peinture en particulier. Les principes de ce système répondaient essentiellement à l'exigence de ne pas s'inscrire dans telle ou telle idéologie esthétique particulière pour, je pensais, échapper au style. Cette fuite devait dans un premier temps, forcer l'expérimentation à travers le médium pictural. Bien que l'ambiance aux beaux-arts et sur la scène artistique française vis-à-vis du médium « peinture », contraignait celui-ci plutôt à une auto-justification de son emploi (« la peinture, aujourd'hui c'est fini, tout a été fait. »), je posais là le postulat de départ:« En peinture tout a été fait, certes, cela nous offre donc la possibilité de tout faire ».

Outre ce postulat et le statut subversif que confère le médium peinture dans le champ de l'art actuel, je m'applique depuis peu à essayer de définir mon propre champ d'investigation. Aussi, il m'a fallu m'étendre sur la spécificité inhérente à la peinture/matière et à la peinture/sujet.

La peinture/matière tout d'abord, c'est à dire toutes les formes physiques, tout ses états texturiels devaient pouvoir un jour me servir d'outils. Le flou, le net, la couleur, la non couleur, le jeté, le posé, le raclé, l'effacé, le vite exécuté, mais aussi le dessin laborieux, expressif, photographique, bref tout ce qui caractérise une symbolique, induit une gestuelle spécifique, une forme pure, relevant d'un choix efficace, visible et identifiable. En bref un vocabulaire suffisamment riche pour qu'une dialectique s'instaure de par la juxtaposition ou combinaison subtile de plusieurs facture/outils entre elles. En axant mon travail et en composant avec ces différents rapports de factures, j'affirme à mon sens la volonté de faire des choix parmi les possibles, garantissant un subjectivisme total.

La peinture/sujet ensuite cherche naturellement ou plutôt culturellement à se différencier des générations précédentes, sans doute pour coller au mieux à l’humeur du monde. Le choix du sujet à toujours été compliqué pour moi. La figuration necessite la fabrication d’images, un sujet prétexte à une réflexion périphérique au médium, un « état des lieux » .
Aussi chaque genre traditionnellement acquis à la cause picturale comme le portrait, la nature morte, le paysage, le nu et toutes combinaisons possibles et imaginables devaient pouvoir être traité… Ce qui est intéressant finalement c’est de sentir le poids de cette tradition du genre abordé et de jouir des tentatives d’arrachement au cadre prédéfinit pour sa redéfinition même.(…)

Extrait de notes - Fabien Boitard -1999

Fabien Boitard

Quelles sont les motivations d’un jeune peintre en ce début du XXIe siècle ? À peu de choses près, les mêmes qui animaient ses aînés hier ou avant hier: « Qu’est-ce que je peux voir de ma fenêtre ? Qu’est-ce que je peux dire du monde? », explique Fabien Boitard à propos de ce qui le pousse à commencer une toile... Sorti de l’École des beaux-arts de Bourges avec les félicitations du jury, la question du choix du médium ne s’est jamais posée pour lui. Peindre contre vents et marées, voici un défi qui ne souffre d’aucune hésitation. Il sait la plasticité de la peinture sans limites et ses ressources infinies. Pour répondre à son désir impérieux de transmettre la palette complexe des émotions qu’il ressent à propos d’une situation, d’un paysage ou d’une relation, Fabien Boitard adopte un style hétérogène.
Il explique: « On n’a pas le même rapport face à une maison, à un arbre ou à une personne, donc pourquoi traduire cela par la même façon de peindre ». Aussi refuse-t-il de s’attacher à un style unique. Il préfère jouer avec la matière et juxtaposer, dans une même toile, des techniques mixtes, selon qu’il veut transmettre, par exemple, un sentiment de bonheur, d’étonnement ou de colère... Il confronte ainsi des temporalités différentes et des humeurs contradictoires. Ses rapprochements formels énigmatiques, parfois grinçants, souvent intrigants, obligent à une lecture polyphonique de l’image.
Il s'appuie en général sur une photographie qu’il a ou non prise lui-même. Mais il peut aussi bien peindre directement sur le motif ou encore créer une composition originale. Quoi qu’il en soit, il fait volontiers cohabiter sur la même surface un flou, des giclures, des graffitis tracés à la bombe, un dessin et même un glacis. Il explique: « Toutes les façons de poser la peinture sur la toile m’intéressent. Par la matière, l’image prend tout son sens ». Il ajoute: « Plus que le sujet, c’est l’ambiance que je cherche à définir ». Et il est incontestable qu’à première vue sa peinture déroute. Les cadrages, les thèmes traités, les associations visuelles, les couleurs utilisées, tout sort de l’ordinaire: « J’ai envie que ma peinture fasse réagir » explique celui dont les portraits peuvent être saignants et les vue extérieures biffées avec rage. La nature et son devenir obsèdent Fabien Boitard, qui vit dans la campagne montpelliéraine. Quelle place l’homme lui accordera-t-il demain? Comment occupera-t-elle alors son imaginaire ? Comment continuer à rêver dans une société où tout devient marchandise ? Il précise « ne pas vouloir être dans la démonstration, mais rechercher une certaine tension ».
Tel est, en filigrane, le fil rouge qui court d’une série à l’autre. Faire passer des idées, sans en avoir l’air. Revendiquer une ultra subjectivité et partager ses interrogations à travers des compositions puissantes et fortes, constitue, pour lui, un enjeu majeur.

Elisabeth Couturier

Révélation

Parmi les artistes de sa génération des – de 40 ans, Fabien Boitard est pour moi le peintre de la Région qui marque le plus les esprits, car sa production témoigne de sa détermination à poursuivre l’expérience picturale, malgré les rejets dont elle fut l’objet, sans pour cela renoncer aux acquis que les nouveaux médias, les nouvelles technologies, ont apporté au champ toujours ouvert des arts plastiques. Sauf que la peinture ayant l’antériorité, l’Histoire et une énorme capacité d’intégration comme vertus, elle est capable d’incorporer toute nouvelle et, souvent fugitive, innovation. Et c’est ce qui rend le travail de Fabien Boitard aussi riche et aussi passionnant, et en fait en somme un chef de file.
C’est qu’il fait des images, dont nous nous gavons quotidiennement, matière à picturalité, leur attribuant une autre facture, une profondeur inédite, une signification subjective. D’abord, Fabien Boitard ne traite jamais l’image de façon réaliste. Il s’arrange toujours pour perturber le champ de la représentation d’interventions graphiques ou colorées, qui ne laissent planer aucun doute sur la matérialité ou la picturalité, avant que la réalité, de ce que l’on y voit. Ensuite, les images se chevauchent, ce que favorise la planéité de la surface, laquelle s’accommode très bien d’une mise à plat de la 3ème dimension, lui attribuant un caractère onirique : un château sur une tente (et il est vrai que la tente peut vous faire vivre une vie de château) là où Rimbaud voyait un salon au fond d’un lac… Une grille  gestuelle obturant un coin de nature, un crâne près d’un « camembert » à pourcentages. Toujours quelque chose vient troubler la sérénité d’une vision, comme s’il était de la nature de la peinture de débanaliser les représentations du réel. En outre, le peintre oppose souvent les parties statiques de son tableau aux éléments qui le traversent temporairement, comme s‘il peignait davantage le passage que l’être. Un papillon devant une chaîne de montagne, ou semblant la porter sur ses ailes fragiles ;  des canards sauvages qui écrasent leurs œufs de manière frontale, au premier plan ; les nuages et soleils qui fixent le temps d’une peinture en hexagone, manifestement inspirée de la météo télévisuelle. On peut se demander si l’on ne tient pas là le véritable sens de cette démarche productive et créative. La peinture se nourrit du temps, mais aussi nourrit de temps et de matière les motifs qu’elle met en exergue. C’est ce à quoi s’applique Fabien Boitard sur la surface du tableau. Par ailleurs, on sait que la météo, à la télé, fonctionne sur une illusion visuelle. La peinture permet de creuser cette illusion, de la révéler.
Les œuvres de Fabien Boitard mettent en opposition un fourmillement d’informations picturales, narratives également, et un événement singulier : un début d’incendie par exemple (il fait feu de tous bois), une incongruité, une alerte… Son art est celui du décalage. Prenons son canard s’immergeant dans l’eau et semblant redresser, par son plongeon, le paysage alentour avec lui, qui devient à son tour vertical. Tout Boitard est dans ce tableau. Son travail n’est pas décalé parce qu’il s’entête à peindre, c’est le décalage même, celui qui caractérise tout artiste novateur à l’œuvre, qui désigne le mieux la spécificité de sa production. Il aime aussi brouiller les cartes, et tout aussi bien les cartes à jouer. C’est la raison pour laquelle bien des personnages sont floutés ou rendus peu visibles, encore un procédé emprunté à la télé. Car c’est par le flouté que se donne à voir la vérité du visible et que nous aspirons à une clarté qui ne soit plus du semblant.

B.T.N