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Emmanuelle Jude

 

Effets de douches

Ce qui frappe d’entrée dans la série des dessins, c’est d’abord l’utilisation de l’encre, qui permet des effets de lavis et de détrempage, et la couleur indigo qui semble renvoyer ces doucheurs esquissés à l’élément aqueux dont ils sont issus pour en faire l’intermédiaire entre le baigneur et le doucheur : en effet les deux ne se trempent pas dans la même eau, ni de la même façon. Aussi bien dans la réalité que dans les approches d’Emmanuelle Jude. Le doucheur du dessin est monochrome, c’est-à-dire presque abstrait, déréalisé. Il est aussi morcelé, ce qui renforce son abstraction et sa difficulté de lecture. Il n’est jamais visible en une seule fois, mais il ressuscite en plusieurs dessins, fragment par fragment. De plus, il est bleu, entre bleu et violet, qu’il soit homme ou femme, comme une créature de l’espace dans un film hollywoodien. Et bleu comme une maladie ou comme une fleur rare. L’opposition au blanc du papier est d’autant plus grande que la composition semble chercher et tourner dans la feuille, essayant de positionner les morceaux de corps dans des situations qui découpent aussi bien le fond que le corps qui le suscite.

Les doucheurs et les baigneurs ne trempent pas dans la même eau, mais ils ne trempent pas non plus dans la même histoire de l’art. Si les doucheurs non pas ou peu d’histoire (référentielle), si ce n’est avec les garde-plage parfois, les baigneurs en ont une longue, ancienne et plutôt complexe. À y bien réfléchir, on peut compter Vénus ou Susanne dans ces rangs-là. Vénus parce qu’elle y dérobe et offre à la fois sa nudité, quitte à punir cruellement (en étant dévoré par les chiens de la déesse) celui qui la surprend et la contemple. Susanne, parce que chaste et en butte aux yeux concupiscents et à la malveillance des vieillards qui l’ont surprise. Le voyeurisme n’a pas besoin du spectateur, dans les deux cas il est déjà dans le tableau. En ce qui concerne une foule d’autres baigneurs et baigneuses, ceux et celles du temps de Renoir et de Cézanne, du temps où les corps s’exhibent aux bains de mer, le dix-neuvième siècle, il s’agit d’abord de représenter un corps jeune et parfait. Celui des jeunes femmes de Renoir est souple, voluptueux, offert et tentant. Dans le plus simple appareil, elles ne sont vues par personne d’autres que le peintre. Des grandes baigneuses, comme s’il y en avait de petites. Les baigneurs et les baigneuses de Cézanne ressortissent d’un autre corps artistique. Ils viennent de l’antique, aussi bien dans leur rapport à la nature que dans leur lien avec l’histoire de l’art. Cézanne a dessiné sporadiquement d’après la statuaire grecque ou romaine jusqu’à la fin de sa vie et sa vision du corps nu s’en ressent. Peu de réalité, encore moins de sensualité, mais d’abord de l’architecture et de l’idéal construit.

En ce qui concerne les doucheurs, on ne sait pas de quelle eau il retourne. En viennent- il ou en sortent-ils ? Bord de plage ou piscine ? Difficile à savoir, même si notre intime conviction nous dit qu’on se situe en bord de littoral et après le bain, à l’heure où le soleil isole encore l’individu du reste du monde. Toute l’acuité de l’artiste est assurément là, dans ce moment précis qui transforme le baigneur en doucheur. Qui transforme le thème pictural en regard sur le présent. Un minimum de réflexion permettra de comprendre combien cette série, déjà nombreuse, déjoue de pièges sans faire de cette esquive le primat et l’enjeu de la représentation. D’abord le piège du nu, en explorant
une frontière où le corps reste encore habillé ou tout au moins en partie vêtu, tout en laissant voir la plus grande partie de l’anatomie des modèles, sans charger cet état d’autre chose que l’objectivité. Ensuite, la pose. Celle qui est choisie se résout autour de l’arrivée d’eau qui alimente la douche et qui fixe également la composition en la centrant la plupart du temps, du moins pour les peintures. Une plus grande liberté est laissée dans les dessins, car il n’y a aucune obligation de représenter la totalité du corps et des accessoires de la scène. Autre piège déjoué, l’inscription dans une époque donnée. Bien sûr que nous sommes au début du vingt et unième siècle, mais on pourrait aussi bien se trouver à la fin du siècle précédent : pas de mode précise ni de diktat estival. Bermudas, maillots moulants, shorts, boxers, bikinis ou une-pièce, unis ou à fleurs, bicolores ou rayées, ringards et démodés ou à fleur de mode, tous se succèdent et se superposent. Aucune modélisation des codes vestimentaires, mais logiquement aucune modélisation non plus des corps.Ce qui se déjoue encore, c’est une possible modernité des moyens picturaux: pas de giclées bâclées, de subtiles audaces, d’imprévisibles déplacements de couleurs et de traits, d’empâtement aléatoire et de collages intempestifs. La retenue des moyens laisse pantois. L’entêtement à ne pas louvoyer avec les strictes règles imposées dès le début laisse admiratif. La peinture en devient une photographie aux données immuables, alors qu’à ses débuts la photographie se faisait fort d’égaler la peinture.

Chez nos doucheurs, pas de références allusives ou appuyées au corps classique. S’il s’en trouvait un parmi les corps choisis, il serait peint avec le même soin et la même attention que les autres. Car le corps parfait est avant tout un corps moral qui fait la leçon aux autres, la leçon de sa perfection étique et esthétique. Sa construction interne est en rapport avec son apparence et ne laisse pas entrevoir la moindre faille ou la plus infime faiblesse. Pour Emmanuelle Jude, tous les corps semblent équivalents et aucun ne prévaut sur les autres. Bien au contraire, un nez proéminent, un ventre replet, une chute de reins dodue sont des éléments qui créent un dessin, qui revalorisent la ligne. Ce qui fait vivre le trait n’est pas de l’ordre de l’immuable, mais concerne l’occasionnel. Il en est des positions comme des particularismes. La psychologie n’intervient pas ou peu dans les attitudes saisit. Ce serait revenir à la morale et à un vocabulaire des valeurs, à un code des postures tel un alphabet graphique. Nous en sommes loin : on peut toujours exercer sa sagacité pour entrevoir dans cette série un portrait en creux ou en relief de notre société des loisirs, mais on tirerait ainsi un peu loin de la cible. L’artiste semble plutôt s’exercer aux joies et aux surprises de l’habituel afin de constater combien il reste de possibles à explorer dans les frontières du réel. Ses modèles sont un peu comme nos voisins, pas totalement familiers (certains de leurs gestes pour se doucher nous surprennent encore), mais pas complètement inconnus non plus.Elle ne traque pas la pose inconsciente de la déesse dans la naissance de Vénus de Botticelli, comme a pu le faire la photographe hollandaise Renate Dijkstra dans une œuvre de 1992. Enfin, elle ne confond pas l’anatomie (dont le sens étymologique est dissection) avec la morphologie qui concerne les formes extérieures avec les mécanismes profonds que l’on étudie en effet par la dissection. Emmanuelle Jude ne dissèque pas ses sujets, qu’elle préfère représenter vivants. Sauf dans ses dessins, comme nous le mentionnons plus haut. Mais c’est une dissection indigo, pour la beauté de la forme.

On pourrait avancer aussi qu’Emmanuelle Jude se fiche des conventions, au sens large comme au sens plastique. Le philosophe l’affirme à propos de l’art : « Quand les arts plastiques sont figuratifs, leur manière de représenter le réel et la diégèse (qui peut être fictive) obéit à des conventions, par exemple dans le choix de certains procédés. Celui des moyens utiliser pour représenter une profondeur est un bon exemple.Dans le procédé par registres étagés, ce qui est en haut du tableau est supposé se trouver en arrière de ce qui est en bas ; ou bien un étagement combiné avec une perspective donne une image conventionnelle plongeante de ce qui est supposé vu du même niveau ; ou bien la perspective linéaire classique oriente ses lignes en fonction d’un point de fuite et d’un horizon placés à la hauteur de l’œil de l’observateur, etc. Ici encore, c’est une convention assez arbitraire que d’ériger l’un ou l’autre de ces procédés en obligation absolue, et d’attribuer les autres à quelque incapacité de l’artiste (1). » De toute façon, il n’y a pas de profondeur chez ses doucheurs, ils sont à la fois le sujet, le cadre et le fond dans une platitude insistante. La lumière les détoure et rend leurs gestes utilitaires ambigus, très souvent lisibles dans le registre de l’invocation ou de ma prière. Même le fait de tirer sur son maillot peut sembler devenir un rituel que l’absence de profondeur placera dans la lignée des peintres primitifs italiens. Comment ne pas voir beaucoup d’ironie dans cette synthèse bizarre entre le fond doré des uns et la plage prolétarienne des autres.

François Bazzoli - Eté 2012

« Un pays de création… ou de récréation »

L’itinéraire diariste d’Emmanuelle Jude est fascinant. Il faudrait la suivre dans cette journée caniculaire pour partager les images de ce lieu idyllique d’où elle part et d’où elle parle. Le mas, cet éden catalan…
Le déroulement des étapes s’avère précieusement antinomique. Le calme, la foule, le vide, le plein, la chaleur, la glace. Cette dialectique des contraires rend féconde sa réflexion. Pourtant une sensation étrange fait émerger la question cruciale : comment tenir dans ce pays ? Emmanuelle vit à Banyuls depuis plus de 20 ans. Sur la Route des mas, « les écarts » comme on dit « chez nous ». Dans l’interstice du musée Maillol et du Col de Banyuls, frontière égarée que l’Espagne garde en secret, se niche le lieu idéal pour vivre en tant que peintre. Seulement Emmanuelle s’insurge et clame que « Banyuls est un paradis qui épuise nos rêves. »
Du Val de Loire, elle se sent à Banyuls en terre étrangère. Pour fonctionner ici : elle sonde constamment l’environnement. Vivre avec un regard interrogateur tel l’ethnologue en immersion. Son rapport ambigu au pays se résume par « une drôle d’absorption », une crainte de « s’y fondre ». La peur d’être clouée mais de s’y sentir bien. Comment font les autres ? Ceux qui s’arriment au territoire, s’enracinent et y grandissent sereinement ? S’agit-il d’y être né ? Pas sûr… Emmanuelle questionne l’altérité.
S’impose ensuite cette fuite de la dérive par le travail. Peindre est une discipline qui s’érige en parallèle d’une carrière professionnelle chimérique. « Vivre dans le Sud ? Et peindre ! Ce n’est vraiment pas sérieux... » Cet écho orléanais résonne constamment entre ses deux oreilles. Elle admet que c’est peut-être irréel. Peu importe si vivre ici est un leurre. Le rapport au temps est biaisé, tout est en suspens. Et alors qu’est-ce que cela peut faire ? Mais parlons encore de travail… par delà les saisons existe une économie locale, le tourisme. Notre talentueuse observatrice est prête à convaincre ; « Il n’y a pas de mauvais sujet en peinture ».

Emmanuelle interroge Collioure

Des attaches avec des artistes contemporains se sont formées au Musée d’Art Moderne de Collioure grâce à l’œil avisé de la responsable de cette institution , ce lieu abrite des joyaux toujours à découvrir . Seuil et fil conducteur de sa dernière série de peinture « Les mangeurs de glace », ce musée est l’interface à partir duquel Emmanuelle interroge Collioure. De manière réciproque Collioure questionne Emmanuelle. L’artiste a voix au chapitre ce qui n’est pas donné à tout le monde surtout quand on « né pas d’ici… »
Sa déambulation dans les ruelles de la citée se fait telle une somnambule. Les yeux fermés, elle énonce que le mode de circulation des touristes dans Collioure s’apparente à celui de la piscine . Il s’agit d’un sens unique . Cela en dit long sur ce décor shakespearien où l’absence d’âme aux histoires fantastiques règne désormais en puissance. Collioure apparaît tel un musée à ciel ouvert où tout semble désincarné. Tous les ingrédients sont réunis pour saliver, mais il n’y a que des parfums de glaces à se mettre sous la dent. Emmanuelle refuse cette coquille vide et fait de ce vestige méditerranéen une pêche abondante. Qui prend-elle dans ses filets ? « Les mangeurs de glace » ou « les sculpteurs de glace » comme elle les appelle. Ces touristes qui passent « un après-midi à Collioure ».
Ses intuitions la guident à dépasser ses obsessions anxiogènes de foule par un processus inversé à la fuite. Pour pouvoir supporter la masse touristique, elle plonge au cœur de ses peurs et capture son appât. Les trophées d’une journée. Tandis que le mangeur de glace consomme et déconstruit, l’artiste construit et reconstruit. Les effets du tourisme de masse empiriquement observé se transforment doucement en œuvre d’art. Son but ? « Sortir l’individu de la masse ». En faire un alibi aux différents caractères « âge, carnation, costumes, accessoires ». « Il faut qu’on sente chaque personnage vibrer », pour cela il faut « donner la même énergie à chacun, lui mettre autant d’épaisseurs qu’il le mérite, le rendre subtil ». Emmanuelle sait que ces touristes ne viennent pas ici pour se baigner, qu’ils ont probablement passé des heures pour se garer en croisant les doigts dans l’espérance de trouver une place… « À Collioure on finit toujours par tourner en rond ! » Puis ils s’adonnent à un concentré d’instants : déambuler en bas du château, contempler le clocher puis l’immortaliser en photo en se délectant d’une glace. « C’est l’éternité noyée dans la masse. » Emmanuelle s’amuse aussi de métaphores « Si la glace était chair, elle serait le clocher de Collioure ». Ce monument de la Côte Vermeille aux dimensions mythiquement phalliques tant célébrées par les peintres peut enfin se déguster. Manger le clocher c’est la preuve que le patrimoine aussi se dévore.

XXL « objet à consommer » ?

Que penser de cette saisonnalité qui découpe le rythme de nos vies ? La civilisation des loisirs vient nous inonder telle une vague régénératrice. Précisément c’est ce temps des loisirs qui intéresse, il y a tellement de choses à dire… Fini le travail ! Tout est orienté en direction des vacances… Et de leurs protagonistes. Parlons de cet exode touristique qui est présentement le sujet de prédilection d’Emmanuelle Jude. « Ils attendent l’heure des vacances pour vivre enfin ! » Leurs activités préférées sont très simples, « manger des glaces, faire des photos pour se souvenir des plus brefs mais meilleurs moments… » Il s’agit également mais brutalement « d’érotiser son corps » afin de l’exposer, le consommer, le partager. « Prendre des couleurs pour susciter du désir dans le regard de l’autre, être autre ». Alors Emmanuelle observe ces mangeurs de glace qui consomment ces plaisirs coupables mais heureusement éphémères. Il va sans dire. S’offrir une glace, dans le fond, cela rentre toujours dans le budget des vacances. L’immensité des parfums et la démesure « over size » nous consolent. Ingurgiter une glace XXL reste tout de même un enjeu de taille ! La glace, quelque part, c’est le leurre d’une économie locale à bout de souffle. Il y a dans les vacances quelque chose d’irréel, comme cette sensation d’illusion lorsqu’on déboule chez le glacier.

L’icône pop : protagoniste d’un discours muet

Le décor est planté par ces couleurs vives propres à ce sud qui réchauffe. Le fond des toiles d’Emmanuelle Jude s’inspire du nuancier des façades de Collioure. Son choix pour chaque pièce est très méticuleux. Les couleurs jaillissent et se rassemblent pour célébrer un Collioure très « Pop art ». Ces contrastes de proximité lorsque les tableaux sont placés côte à côte affichent une ambiance warholienne où « Collioure est un décor ».
La sérigraphie des « mangeurs de glace » met en scène la même position des personnages, toujours le bras fléchi en direction de leur bouche. La glace en guise de micro «les mangeurs » semblent se délivrer d’un discours muet. Qu’ont-ils à dire outre le fait qu’ils passent sous silence la vacuité des vacances ? Emmanuelle érige le touriste muet en véritable icône pop. Elle « brise la glace de l’insignifiance » pour livrer une autre profondeur du discours. Détourné de sa fonction sociale d’idiot, le touriste se dresse en véritable héros de masse. « Quelques personnages sont poilants, l’humour, c’est aussi un peu ma touche ». Ce travail inusité enclenche un basculement car Emmanuelle s’inscrit en rupture de la tradition des peintres à Collioure. Qui d’autre qu’elle a peint ces touristes ? Riche de tradition picturale Collioure fait généralement figure de paradis perdu pas de Disneyland. Emmanuelle ne peint pas le Collioure « à conserver » mais interroge le Collioure « à consommer ». Elle célèbre l’hyperprésent par le visage de son touriste universel. L’individu morcelé de l’art moderne tant représenté par les cubistes retrouve soudain une unicité. Comme si cette nécessité de rassembler était aussi un besoin de réparer.


Détourner, produire


Emmanuelle se dit « timide, réservée ». Bien qu’elle n’aime pas les confidences, les « mangeurs de glace » permettent de décortiquer ses attraits. Sa peinture interroge. Pourquoi peindre ces mangeurs ? Qu’est-ce qui origine ce discours muet autant chez le touriste que chez Emmanuelle Jude ? S’agit-il de produire pour ne pas dire ? Elle s’empare du quotidien qui l’entoure pour s’inscrire au monde. « Être est un trouble. Je suis née avec un rapport différent au réel qui me force à être une peintre de la constance et de l’insistance». Peindre lui permet de fixer des traces rassurantes. « La peinture est une forme de testament », dit-elle.
L’entrée en peinture se fait à partir d’une somme d’images qu’elle capture, de preuves qu’elle fabrique, d’empreintes. Depuis 2010, elle a entamé des recherches qu’elle qualifie de « généographiques ». « Je suis la bibliothèque de la famille ». Ainsi le devoir de peindre s’apparente au devoir d’archive. Tout comme l’œuvre d’art, l’archive n’a pas de destinataire précis, elle est en somme orpheline comme dirait Ricœur. Toujours taraudée par les loisirs, Emmanuelle collecte des photos d’époque sur les vacances en famille. Le thème du camping et du pique-nique sera la problématique d’un prochain travail artistique. Questionner ce nomadisme vacancier des classes sédentaires du XXème siècle. Mais revenons sur les chemins de l’artiste où pour achever ses journées Emmanuelle se retire au fond de la vallée en laissant passer les touristes comme on laisse passer les pensées.

Audrey Quintane

Les mangeurs de glaces

Larousse : Photographie et peinture
La photographie a depuis très longtemps était une solution pratique pour les peintres. La photo est inventée par les peintres pour servir la peinture, c’est un outil, Baudelaire disait de la photographie « La servante idéale de la peinture ».La photographie est un médium intermédiaire qui sert littéralement d’espace transitionnel entre la nature (réel) et l’artificiel (le monde des images et de l’art).

En ce qui me concerne, je ne cache pas que j’utilise la photographie, c’est une évidence et je ne trompe personne (voir Michaël). J’utilise tout ce qui peut me servir à mieux voir, machine, dessins, écrits. Ce que l’on me reproche n’est-ce pas mon manque d’imagination ? Pourquoi peint-elle en somme ? Il suffit d’un clap avec un appareil. Alors rien de nouveau en somme ? Mais si on prend le temps du regard, on voit le jeux des couleurs (c’est souvent difficile pour le public).
Bony est un bel exemple de composition dans cette série, la relation entre la carnation, la glace, le maillot et l’immense serviette verte avec le fond du tableau me semble judicieuse. Le fond du tableau est une mise en scène chromatique du personnage. Notre regard passe d’une couleur à une autre avec une grande fluidité. Les tons sont très recherchés, rien à voir avec l’image-couleur sortie de l’imprimante, peu importe d’ailleurs ce qui sort de l’imprimante, la couleur sera transformée « la couleur-lumière de la photo n’est jamais la bonne par rapport à ma volonté».
Mon centre d’intérêt est bien la couleur « Je suis d’abord une peintre-coloriste ».La couleur des glaces n’est pas réaliste « la couleur de la glace et sa dimension doit être très précise ». On n’imagine pas Bony avec une glace rose même si elle devait être très fine. Il y a composition, transformation, cadrage. J’ ôte des détails pour faire ressortir autre chose « l’acné de Pierre est adoucie, ». Je rajoute un quart de ton sur un détail qui m’intéresse. La couleur est posée d’une certaine façon, regardons ce qui se passe, regardons cette infime petite touche de matière qui échappe à notre premier regard. Les touches minuscules mises bout à bout troublent notre vision, il y a des grains de lumière. À première vue, l’aplat de la couleur-matière du tableau nous ramène à la matière photographique, mais il n’en est rien. Il y a plein de micros vie là-dedans. Nous sentons le poids ou la retenue d’un corps, il y a bien une âme et une intention derrière cette peinture « c’est ma collection ».

Emmanuelle Jude